Une histoire de domestication au menu

Quel est, selon vous, le point commun entre les chiens et la fine couche de moisissure blanche et duveteuse qui recouvre le camembert ? Tous deux ont été domestiqués par l’Homme !

Sélectionnés pour leur comportement, les chiens ont peu à peu été domestiqués par l’Homme à partir du loup. Un processus identique s’est mis en place pour le champignon Penicillium camemberti, responsable de la formation de la moisissure blanche sur les fromages préférés des français, le camembert et le brie.

Penicillium camemberti (blanc et cotonneux) et Penicillium biforme (gris vert) dans une boîte de pétri
Les cultures de Penicillium camemberti (blanc et cotonneux) et Penicillium biforme (gris vert) dans une boîte de pétri. © Tatiana Giraud, chercheuse CNRS au laboratoire ESE (CNRS/Université Paris-Saclay/AgroParisTech).

Ce champignon, qui présente un réel intérêt économique, est pourtant peu étudié. Une équipe composée de chercheurs du laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE, UMR 8079, CNRS/Université Paris-Saclay/AgroParisTech) et du laboratoire Universitaire de Biodiversité et d’Écologie Microbienne (LUBEM, EA 3882), a décidé de s’y intéresser et de séquencer son génome pour une meilleure connaissance de l’espèce. L’étude a concerné P. camemberti, mais aussi P. biforme, également moisissure de fromage, et P. fuscoglaucum, espèce sauvage provenant d’un environnement naturel. Les analyses génétiques ont montré que les deux espèces spécifiques à l’environnement « fromage » sont des populations sœurs, très proches génétiquement, alors que P.fuscoglaucum, est plus éloignée.

Arbre phylogénétique des espèces Penicillium fuscoglaucum, P. biforme et P.camemberti, représentant les liens de parentés entre ces 3 espèces

Les résultats obtenus montrent donc que la pression de sélection a conduit à séparer les espèces P. fuscoglaucum et P. biforme. Cette dernière formant une moisissure bleue-verte, les bries étaient des fromages bleus jusqu’au milieu du XXème. Suite à une sélection de mutant blanc du champignon, un deuxième événement de domestication, plus récent, a donné la lignée blanche et cotonneuse, P. camemberti.

Suite à cette sélection humaine, les deux espèces domestiquées montrent des avantages pour l’affinage des fromages par rapport à l’espèce sauvage proche. Elles sont plus blanches et leur croissance est plus rapide sur le fromage en condition de cave d’affinage. De plus, elles ne produisent pas, ou peu, de toxines potentiellement dangereuses pour l’être humain, et empêchent également la prolifération de moisissures indésirables.

Ces travaux montrent à la fois un intérêt scientifique, et ont ainsi fait l’objet d’une publication dans le dernier numéro de la revue Current Biology, mais également à l’échelle industrielle. En effet, les connaissances acquises sur ces différentes espèces permettront d’orienter la sélection des moisissures lors de la production des fromages, en fonction des caractéristiques désirées et notamment l’aspect final du fromage.


Qu’est-ce que la domestication ?
Dans le processus de domestication, l’Homme exerce une pression de sélection sur les individus d’une espèce. Ceux-ci sont sélectionnés pour leurs caractéristiques physiques ou comportementales, puis ils sont clonés ou se reproduisent. Les caractères deviennent alors héréditaires et entraînent une différenciation génétique chez l’espèce domestiquée.
Ainsi, la domestication d’une espèce est l’acquisition ou l’adaptation de caractéristiques physiques ou comportementales selon les préférences humaines.
La domestication s’exerce sur des espèces animales, comme le chien ou le bétail, mais également sur des espèces végétales, principalement en agriculture.